Aujourd'hui, c'était le jour J. LA journée où sa vie allait changer. On était mercredi, près de neuf heures, et ça faisait une demi-heure que Camille était devant son miroir à rajuster sa cravate, un sourire idiot sur le visage. Un contrat à assurer ? Un nouveau voyage à faire ? Même pas ; il allait chez la fleuriste, comme à tous les jours un temps assez impressionnant pour un homme qui a seulement une soeur, une mère, aucune copine fixe (ou avouée) et une secrétaire même pas jolie. C'est juste qu'aujourd'hui, il s'était enfin décidé : il allait parler à la fleuriste.
Oui, c'était un grand pas, dans sa petite vie, que d'aller parler à la jolie fleuriste aux longs cheveux bruns, ses beaux yeux et son sourire charmant. Que de lui demander autre chose que des fleurs, bonjour, s'il vous plaît, merci, vous êtes très jolie aujourd'hui une fois de temps en temps, murmuré sur le bout des lèvres et le regard fuyant. Il avait toujours été une quiche avec les filles qui lui plaisaient ; autant il était capable de charmer en deux mots, autant celles qui capturaient son coeur le laissaient pantois, ses pouvoirs tombant sous le zéro et son assurance également. Un enfant.

Un dernier regard dans la glace, un petit sourire nerveux. Parfait. Il ressemblait à son lui de tous les jours. Bien.

Le pas décidé, le naga quitta son appartement et se dirigea, toujours à pied, jusqu'à la boutique de la fleuriste. Ce n'était pas très loin de chez lui, il faut dire, et il devait souvent se retenir à deux mains d'y aller deux fois par jour. Déjà qu'une fois par jour, c'était beaucoup... elle devait le trouver bien étrange, quand même. Camille arriva au coin de la rue où la boutique se trouvait et après une longue inspiration, profonde, qui allait chercher bien loin dans ses poumons, il poussa la porte. Un tintement de clochettes, quelques pas. Il y avait une autre femme qui effleurait attentivement des marguerites, et un homme qui errait dans la rangée des roses. Prenez les rouges, monsieur, elles adorent toutes cela. L'homme partit donc plus loin, observant les fleurs distraitement, attendant que les autres clients soient servis, les fixant parfois un oeil rageur. C'était sa fleuriste ; ils n'avaient pas à ainsi l'accaparer pour des futilités telles qu'une demande en mariage ou un anniversaire.

La jeune femme arriva au comptoir, réglant les achats et subjuguant le regard de Camille pendant une dizaine de secondes. Par tous les diables. Un long soupir énamouré s'échappa de sa poitrine, avant qu'il retourne regarder les lys blancs. Splendide. Magnifique. Adorable. Royale. Sculpturale. Il se sentait pris de longues envolées lyriques en sa présence -mais seulement en théorie, car en pratique, il bégayait plus souvent qu'autrement quand il lui parlait.

Oh ! Libre. Le rouquin alla au comptoir et adressa un sourire timide à la fleuriste, baissant ses yeux clairs sur le comptoir.

« Bonjour ! Je... euh, je voudrais des... des lys. Une demi-douzaine de lys blancs. »

Pour l'instant, ça allait aller.